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mercredi 23 mai 2012

Cuisine moléculaire : de la carotte Vichy d'Escoffier à la forêt noire "acalorique" de Thierry Marx


Je suis contente, j'ai au moins un point commun avec le chef chauve à baguettes à moto à Badoit : je n'aime pas le terme de cuisine moléculaire, je lui préfère la plus expressive "cuisine techno-émotionnelle"... un lourd passif assumé de AdriàAddicta expliquant mon attachement particulier à ce concept.

© Arnaud Robin
J'ai assisté à une conférence qu'il animait avec son savant fou Raphaël Haumont, chercheur en physique-chimie des matériaux et la photographe-plasticienne Mathilde de l'Ecotais dans le cadre de l'exposition, je dirais plutôt un atelier ludique, intitulée Quand les molécules se cuisinent au premier étage du Palais de la Découverte jusqu'au 10 juin* et dont ils sont les commissaires.


Oui, j'ai vu le chef à baguettes et... non, je n'ai pas fait d'attentat pour les lui chiper je suis une grande gueule il les a gardées 5 minutes en main au début de sa présentation puis les a lâchées.

Je peux donc affirmer que les baguettes de Thierry Marx ne sont pas une greffe.

Si ma référence en matière de genèse de la cuisine moléculaire est la fécule de nos grands-mères, celle de Thierry Marx est plus académique : il a rappelé cette anecdote symbolique de l'empirisme d'Auguste Escoffier. Ce dernier achetait régulièrement du bicarbonate à son pharmacien pour obtenir une cuisson parfaite des carottes jusqu'au jour où le chimiste lui suggéra d'utiliser de l'eau de Vichy. La recette traditionnelle des carottes Vichy se fait donc... à l'eau de Vichy.

Si quelqu'un de consciencieux pousse son perfectionnisme à vérifier l'anecdote dans l'ouvrage originel (surtout pas dans Wikipédia, merci) je suis toute ouïe.

Alors donc, quand Jamie Oliver met du mousseux dans la gélatine de ses verrines, il fait de la cuisine techno-émotionnelle? oupsssssss, c'est bon, je sors!


© Mathilde de l'Ecotais
On a eu droit aussi au brandissage d'algues kombu et d'agar agar, japanese whispers, de l'artillerie lourde en matière de cuisine moléculaire... naturelle.

Avec son Géo-Cherchetout, Thierry Marx nous a régalé de démos bluffantes sur les dernières avancées de ses expériences qui illustrent bien, c'est mon avis et je le partage, à quel point il ne faut pas snober la cuisine moléculaire. La plus gourmande : la "non cuisson" sous vide total de chocolat noir intense fondu pour obtenir une forêt noire quasi "acalorique". Tout se passe sous une cloche, on fait le vide d'air et comme la nature a horreur du vide, le chocolat "gonfle" et acquiert une texture aérée proche d'une génoise mousseuse. Incroyable? Non, c'est de la physique.

Autre technique intéressante d'un point de vue diététique : l'exploitation du phénomène d'osmose qui permet de concentrer des saveurs hors de leur contenant. Telle cette tuile de pain d'épices totalement acalorique, à partir d'eau de miel, ou encore l'eau de tomate. En démo, une tomate mozza déconstruite/reconstituée avec l'éternelle espuma de mozza mais surtout une bulle d'eau de tomate parfumée au basilic cryogénisée à l'azote liquide qui va fondre tranquillement lors de la dégustation pour devenir une soupe froide.


© Arnaud Robin
Dans le domaine des gélifiants un laïus sur la pectine, et là, toutes les desesperate housewifes doivent retenir une chose : couper en brunoise fine une pomme permet à notre compote de gélifier plus vite. Géo-Cherchetout a expliqué que c'était une histoire de fibres coupées dans le meilleur des sens pour que la chair libère mieux sa pectine. Résultat dans l'assiette : une espèce de tatin sur tuile de pain d'épices et mousse à la crème de soja, c'était bon et surtout "acalorique", un bluff étant donné que le goût saturait en sucre. Mon écart dans mon régime en valait la peine!

Sur le plan nutritionnel, la cuisson sous vide plus "classique" (sachet plastique, vide d'air et cuisson au bain marie) mérite de se développer non pas pour le maintien des pigments colorés (rien à voir avec la chlorophylle ont précisé nos animateurs : légende urbaine!) mais bel et bien pour toutes les qualités nutritionnelles conservées. Sans oublier la concentration des saveurs, résultat inégalable avec une marinade classique qui ne pénétrera dans la chair que superficiellement. Mais çà, je le savais déjà c'est JP Coffe qui me l'a dit au siècle dernier.


© Arnaud Robin
Le thème de l'encapsulage comestible a également été abordé, un champ de recherches prometteur pour le chef et son GéoTrouvetout. En accord, c'est mon avis et je le maintiens, avec la fin de la tralalaïsation (terme lafrancesiste) des assiettes au decorum pas très développement durable (à moins qu'on ne dise redressement constructif maintenant).

La démo spectaculaire du Thierry Marx Show sera la cuisson à froid d'un oeuf avec... de l'alcool. Bon, c'était de l'alcool à 90°, une fois versée dessus, l'oeuf coagule immédiatement mais n'est pas comestible, enfin si, mais pas exploitable d'un point de vue alimentaire, enfin si, c'est la base du fameux cocktail PortoFlip (là aussi un point commun avec le chef : j'aime pô le terme mixologie, ça sonne glauque). A partir de ce résultat, Thierry Marx a travaillé une distillation de cognac pour arriver à une recette mangeable. Il n'existe pas d'autre mode de cuisson à froid. Donc, au chapitre, oubliez toute certitude, la cuisson par le sel et l'acide n'existent pas. Géo-Cherchetout et Thierry Marx l'ont confirmé : au microscope y'a nada de nada de modifications, c'est pas cuit.

Cette conférence était passionnante, le binôme que le chef forme avec son savant fou est une illustration des applications concrètes, voire industrielles, de la recherche en physique-chimie. Pour financer ces travaux, le chercheur court après les bourses et le chef multiplie les ménages. Je leur tire mon chapeau pour cette oeuvre de vulgarisation auprès du grand public. Si Hervé This nous expliquait el porqué de las cosas du fond de la casserole que l'on observe au microscope, la démarche de Thierry Marx et de son GéoCherchetout est plus pragmatique : ils nous accompagnent pour comprendre les nouveaux enjeux de la cuisine du XXI° siècle plus ludique, on zappe d'un plat à l'autre comme on zappe d'un canal à l'autre, mais aussi plus saine, du plaisir acalorique à l'encapsulage comestible. 








Si quelqu'un cherche une gentille accompagnatrice pas difficile pour tester in vivo vino veritas la cuisine de Thierry Marx, je suis libre.

* Renseignements sur l'exposition temporaire, voir ici.

Almanach

Le débat de l'apéro : cannelés ou macarons?
La JeanYannerie du jour : il faut battre le fer quand il est chaud et la crème quand elle est fraîche
La SpinDoctorie du mercredi : on ne dit pas cheminement mais démarche 
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12 commentaires:

  1. Très intéressant merci Valérie ;O)) bises

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  2. Quel dommage que je n'ai pu y assister, c'est passionnant la chimie appliquée à la cuisine, ça t'explique tout plein de phénomènes. Avant Escoffier, en matière de "cuisine moléculaire" il y a eu l'osmazome de Brillat-Savarin et la question de savoir si on cuit la viande départ eau froide ou eau chaud...
    La cuisson à l'eau de vichy, j'ai testé mais pas comparé au bicarbonate, je ne saurais donc te dire. Et pour l'oeuf, le jaune reste cru dans la cuisson au sel ou à l'acide mais il se forme comme une pellicule (comme par le séchage à l'air libre). Faudra que j'essaie la cuisson à l'alcool ;-) Quid de celle au sucre (quand tu blanchis les jaunes en pâtisserie, on dit que si tu laisses les oeufs au contact du sucre trop longtemps, ce dernier les cuit)

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  3. Belle rencontre! Je ne suis pas passionné de cuisine moléculaire, mais en tant que scientifique j'aime bien comprendre les choses, ça m'aurait plu!
    Par contre, les recettes 'acaloriques' c'est un doux rêve, hypocaloriques ok, mais sans aucun apport énergétique? ;-)
    Pour les oeufs, à mon avis sucre comme sel ne cuisent pas l'oeuf mais agissent par osmose en retirant une partie de l'eau de l'oeuf, ce qui en change la texture.
    Par contre par l'acide, il se passe bien une réaction, non? (cf ceviche and co...).

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  4. Très sympa ce billet!
    S'il y a bien une raison (et une seule, je n'arrive pas à en trouver d'autres) pour vivre à Paris, c'est pour pouvoir participer à ce types d'évènements. Ca devait être une conférence passionnante. Même si j'avoue ne pas être un accroc du "techno-emotionnel".
    Je ne le rejette pas en masse, c'est juste qu'il y a trop de choses à découvrir encore dans la "traditionnelle" avant de se lancer dans la moderne...
    En plus, mes professeurs de chimie du lycée m'ont interdit de retoucher à un semblant d'éprouvette.... ;O)

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  5. trop vieille sinon je serais une passionnée aussi

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  6. Super intéressant. Un peu lasse aussi de certains termes (molé cul aire, mixologie) mais toujours prête à en savoir plus !
    Amitiés d'Isa-Marie

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  7. Merci de nous faire partager ce moment passionnant. J'adore la chimie et la cuisine, j'y aurais sûrement trouvé de quoi capter mon attention ! Pourquoi Paris est-il si loin ????
    Mais nous faisons tous de la chimie tout les jours sans le savoir. Qui sait un savant fou se cache peut-être on fond de chacun de nous ? En ce qui me concerne, il est vraiment enfoui au fin fond des méandres de mon petit cerveau !!!

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  8. C'était très sympa en plus, on a beaucoup appris. très bon compte rendu, dis donc !

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  9. Même si tout cela me semble à des lieux de mes casseroles...je te remercie du partage...Pour une nulle en science comme moi, je me disais que certains manuels et profs devraient s'inspirer de gens comme Thierry Marx: les cours seraient plus digestes ;-)

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  10. Je connaissais certaines choses pour avoir eu la chance aussi de rencontrer Thierry Marx mais on jétais loin de tout savoir aussi merci pour ce partage!

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  11. Bonjour, pour répondre à votre intérogation dans le guide culinaire d'Auguste Escoffier les carottes Vichy s'appellent en fait les carottes à la Vichy et sont cuisinées comme des carottes glacées pour garniture. Je suis très curieux de la technique d'osmose pour désucrer du miel ou autres confitures. Quelle type membrane utilisé-t- il?

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  12. Excellent,j'aurais adoré c'est clair. Contente que tu ais passé un bon moment. Moi aussi je suis une Adria-fondue, je trouve ces démarches ultra intéressantes, rien n’empêche de se poser ce genre de questions complicadas tout en continuant à aimer le jambon beurre :)
    PS : ni cannelé, ni macarons : saucisson.

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