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mardi 25 octobre 2011

Une AOC pour la paella de Valence : la croisade de Rafael Vidal

10 de croisade pour Rafael Vidal qui ont fini par payer. Franco a dû se retourner dans sa tombe le 18 octobre dernier quand le Conseil pour l’Agriculture du gouvernement autonome de la Communitat de Valencia a déclaré que la paella de Valence était désormais scellée par une Denominación de Origen, l'équivalent de notre AOC.


A l’origine était le riz et les produits de Valence

Cela constitue ni plus ni moins qu’une double offense aux aspirations centralistes du Caudillo : la décentralisation politique et administrative espagnole autorise de telles démarches aux relents identitaires et la paella devient un symbole régionaliste anti-jacobiniste. En effet, lors de son long règne, le dictateur aimait débarquer à  l’improviste dans n’importe quel restaurant de Madrid à la rencontre de son peuple chaque jeudi : la paella, son plat préféré en version mer et montagne, était devenue une tradition dans la capitale, tous les restaurants se préparaient à recevoir cet amateur de riz mijoté garni d’ingrédients divers et variés.

C’est le chef cuisinier ès-paella, paellero, Rafael Vidal, du restaurant  Levante à Benissanó qui est à l’origine de cette révolution gastronomique. Il aime raconter que son sang n’a fait qu’un tour quand il a vu dans un livre intitulé « Tour du monde gastronomique des meilleurs riz » une recette de paella de Valence avec purée de tomate, noix de muscade et saucisse : recette inepte et surtout intolérable d’après lui. C’était il y a quatre ans, et depuis son obsession pour expliquer les origines et les composants traditionnels et immuables de la paella de Valence a motivé sa démarche, et sa persévérance.

L’appellation « denominacion de origen controlada ne pourra jamais être appliquée en tant que telle à la recette, sa proposition est donc de cadrer, fixer et cataloguer les ingrédients communs aux différentes versions valenciennes avec le pré-requis incontournable de l’utilisation de riz produit dans la région de Valence, qui bénéficie déjà d’une D.O.

ADN et variantes acceptées

Ainsi, les 10 ingrédients qui composent l’ADN de la paella valencienne sont :
- le riz,
- la tomate,
- le poulet,
- le lapin,
- le haricot vert coco plat, ferraura
- le haricot blanc autochtone valencien, garrofó,
- l’eau,
- le sel,
- le safran.

Certains produits typiques de la Albufera, la plaine maraîchère valencienne sont tolérés comme les artichauts, ainsi que le canard, l’ail et bien sûr les escargots, vaquetes, petits et à la coque claire, traditionelle source de protéine bon marché des terres intérieures valenciennes. La variante marinière n’a pas été oubliée si les poissons sont du littoral valencien et bien sûr, le pimentón (de Murcia la Communauté voisine) est accepté comme épice indispensable à la version mer et montagne de la paella de Valence.
vraie recette de la paella de valence
La plateforme qu’il a créée avec une bonne dizaine de grands restaurateurs valenciens, qui sera l’œil inquisiteur et contrôleur du respect de cette identité, se réservera le droit d’inclure d’autres ingrédients si le bien fondé de leur présence est avéré.

Du palais royal à Las Vegas

Comme beaucoup de chefs espagnols Rafael Vidal est fils de cuisinier : en 1976 la visite du Roi Don Carlos à Valence marque le début de la renommée de l’établissement que tenait son père sur cette côte valencienne pas encore ravagée par le tourisme de masse et sa clientèle agglutinée dans les gratte-ciels de Benicassim. La paella que sert Rafael Vidal Père à la famille royale est considéré d’anthologie . A partir de 1989, le débonnaire et jouisseur roi des Espagnols engage tous les étés le fils comme cuisinier officiel de leur résidence de vacances à Mallorque.

La paella de Rafael Vidal devient LA paella qu’il faut avoir goûter une fois dans sa vie… pour les gourmets VIP de la planète. Grâce au polyfacétique chef José Andrès, l’acteur de la divulgation de la cuisine espagnole aux Etats Unis, Rafeal Vidal présente sa paella aux Américains, elle est testée et encensée à Las Vegas lors de l’inauguration a lo grande du restaurant de l’hôtel Cosmopolitan en juillet dernier. Sa version de la paella est alors acceptée par les Nord-Américains comme the right one and the only one.

Mais la Plateforme de défense pour la autentica paella valenciana n’a toujours pas été aussi influente : il aura fallu l’appui du catalan du nord Ferran Adrià et des basques Juan-Mari Arzak et Martin Berasategui, 3 chefs au pouvoir de persuasion très puissant, pour que le Conseil de régulation le prenne au sérieux et passe à l’action.

La ménagère espagnole et le monde du riz

Quoi qu’il en soit, la ménagère espagnole continuera de cuisiner son arroz de toda la vida avec ses fonds de placards ou de frigo et ses restes de marché comme elle l’a toujours fait et comme elle a toujours vu faire sa mère et ses grands-mères depuis Franco.

Arroz negro de LaFrancesa
En Espagne, la cuisine du riz, el arroz, n’obéit qu’à 6 règles :
- s’il est seco il se cuisine dans une paella qui optimise l’évaporation des jus de cuisson,
- s’il est cremoso, ou meloso, il se cuisine dans une sauteuse, cazuela, fine aux bords hauts pour
permettre l’onctuosité, comme l’arroz negro,
- s’il est caldoso (au bouillon) il se fait à la cazuela de barro (terre) pour maintenir le riz mouillé,
- il faut compter 60-80 g de riz par personne,
- il faut doser au moins le double de liquide que de riz en volume,
- il faut une cuisson de 18 à 24 minutes selon la qualité du riz et la recette plus ou moins « mouillée »

La grande proposition de Rafael Vidal est d’étiquetter la paella traditionnelle valencienne : elle sera ainsi servie avec un sceau de qualité et d’origine contrôlée : D.O autentica paella tradicion valenciana. Toute autre préparation de riz garni qui ne correspondra pas aux critères définis devra être appélée « paella de bled bidule » ou « paella de city-truc ». En plus d’une mise en avant du savoir-faire gastronomique valencien et de ses magnifiques produits autochtones à la qualité inégalable blabla, c’est surtout une bonne nouvelle pour le client et le touriste toujours bonne proie-bonne poire devant une paella improbable qui n’a rien à voir avec la photo de la carte du restaurant !

L’annonce au grand public de cette révolution gastronomique est prévue juste avant les fêtes de fin d’année : période propice aux repas d’étiquette et d’apparât où la paella représente le plat espagnol festif, convivial et ¿pourquoi le nier? ostentatoire, par excellence.

5 commentaires:

  1. Ah, la paella ! Je me méfie toujours quand on veut authentifier un produit ou un plat qui souvent à l'origine était un plat de pauvres élaboré avec ce que l'on avait sur place. Ces plats ont été améliorés au fil des ans par différents acteurs qui, en partant du plat de base, en ont fait des plats quelque peu différents dans leur composition.
    Dans la famille de mon mari, originaire de la région de Valencia, on ne jure que par la paella de ma belle-mère, jamais inégalée, tu penses bien. Tout comme dans ma famille on ne jure que par le cassoulet ou la bouillabaisse de ma mère.
    Pour ma part une des meilleures paellas que j'ai mangées dans la famille en Espagne était on ne peut plus minimaliste et je n'ai jamais compris pourquoi elle était aussi bonne.
    J'en ai mangé de fabuleuses aussi dans le détroit de l'Ebre, le riz y était sûrement pour beaucoup, la qualité de ce dernier étant fondamentale.
    Ceci dit, il n'est pas plus mal non plus de mettre des limites et les gens du sud de la France feraient bien de les connaitre. Quand je vois des paellas faites avec du riz incollable, même si je suis très peu formaliste j'avoue que j'ai du mal.
    Beaucoup pensent que c'est un plat facile à réaliser or une bonne paella ne se réussit pas du jour au lendemain, la cuisson étant très certainement le plus difficile à maitriser.
    Ton billet est des plus intéressant, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire.

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  2. Que rico el arroz! en mi casa es tradición hacerlo los domingos en el campo con fuego de leña que es como mejor está, en cuanto a los ingredientes solian variar dependiendo de si mi padre había cazado alguna cosa esa mañana , conejo perdiz, paloma, y si no pues pollo o longaniza, verdura y marisco! o como dice mi suegra una peseta de to revuelto!jejeje
    Muy buen reportaje.
    Bssss wapa
    Ah! El arroz Monsià es del Delta del Ebre en Tarragona.

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  3. Tous ensemble Tous ensemble Hé Hé Hé !!!
    Tous ensemble Tous ensemble A Valence Hé Hé Hé !!!

    Alors que la paella tout le monde sait bien qu'elle vient de Torremolinos, la plus belle ville d'Espagne.

    Non mais des fois !

    Plus sérieusement, je crois que la meilleure paella, c'est un peu comme la bolo (je vais me faire frapper) : la meilleure c'est celle qu'on fait soi-même. Et la seconde position revient à celle de Valence :p
    Vous avez dit "prétentieux" ? Ooooohhhh, je suis déçu ;-)

    Bisous

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  4. Excellent article !
    J'essaye aussi de suivre l'actu de cette A.O.C. en ce moment, pour la reporter sur mon site.
    Et j'aime beaucoup ton travail, bien renseigné :)
    Bravo la "La Francesa" :)
    Tu as fais bien mieux que moi...

    Si vous aimez la Paella et que vous vous posez des questions, alors vous aimerez ce site sur lequel j'aborde tout tout tout sur la Paella :
    http://www.la-bible-de-la-paella.com/
    Bonne lecture :)

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  5. derrière ton nom j'ajouterais #encyclopédie en plus de #reine de la morue

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Allez-y mettez votre grain de sel, ça m'intéresse